Assis et lisant tranquillement dans le métro, il voit cet homme s’approcher de lui avec un sourire bienveillant. En y réfléchissant plus tard, il se dira qu’il n’aurait jamais dû relever la tête, sourire lui aussi, et le laisser engager la conversation.
« Bonjour, je suis désolé, mais vous ne pouvez pas…
– Pardon ?
– Le livre, vous ne pouvez pas le lire ici… Mais vous savez très bien pourquoi…
– Vous êtes de la RATP ?
– Il vous plait beaucoup, ce livre ?
– Bah oui, et je ne me souviens pas avoir vu affiché quelque part qu’il était interdit de lire dans le métro…
– Comme ce livre vous plait, vous êtes totalement absorbé dans sa lecture…
Il vous arrive même par moment d’oublier où vous êtes…
Vous n’entendez plus le bruit des roues crissant sur les rails…
Le wagon et ses passagers s’estompent, doucement, progressivement…
Au loin, le bruit des vagues… le cri des oiseaux… alors que vous respirez profondément…
Vous vous retrouvez au milieu de la scène que vous lisez, sur la falaise…
Vous pouvez sentir sur votre peau la douce chaleur du soleil par ce beau matin de printemps…
Le souffle du vent marin décoiffe vos cheveux….
Vous pouvez sentir le goût du sel sur vos lèvres…
Le soleil vous éblouit peut-être un peu, mais vous pouvez les voir tous les deux au bord de la falaise… Ils s’enlacent, ils s’embrassent, se taquinent, et discutent… ».
La voix est douce, tranquille, profondément apaisante, elle le berce. Tout semble un peu plus flou, plus distant. Le bruit des vagues, le couple d’amoureux, le vent sur la falaise, tout cela semble tellement réel…
«Mais… comment connaissez-vous… l’histoire… que… je…lis ?
– Et comme vous êtes là sur cette falaise, spectateur du drame qui va se dérouler devant vous, vous risquez d’oublier totalement que vous êtes dans ce métro, au milieu de ces gens, et d’oublier de descendre à votre station…
Comme vous avez oublié, tout à l’heure, de proposer votre siège à cette femme enceinte… il pointe du doigt la femme assise en face de lui qui lui sourit timidement. Elle doit être à son sixième ou septième mois de grossesse.
– Je suis désolé, je ne l’avais pas vu… »
Oh, le vilain mensonge ! Bien sûr qu’il l’avait vu quand elle était entrée dans le métro ! Mais il y avait un tas de gens plus jeunes que lui qui pouvait céder leur place…
Ah, la joie des transports en commun ! Vous vous installez tranquillement et y’a toujours un phénomène pour venir vous déranger. Entre ceux qui vous demandent une petite pièce, ceux qui écoutent la musique sans écouteurs, ceux qui ne savent pas que les déodorants, ça existe !
Ceux qui viennent vous casser les tympans en chantant une chanson alors que vous n’avez rien demandé ! Ceux qui partagent leur conversation téléphonique comme si il vendait du poisson sur le marché ! Et ceux qui vous donnent des leçons de morale !
«… Franchement, c’est vraiment du sport, les transports en commun ! »
Autour de lui, le silence. Il ne l’a pas juste pensé, il l’a crié, haut et fort : la musique, la transpiration, les quêteurs, les téléphones.. Son interlocuteur le regarde, toujours avec le même sourire bienveillant, s’approche de la porte qui s’ouvre à l’arrivée en station.
« Bonne journée… Et bonne lecture… lui dit-il, avant de sortir.
– Donneur de leçon ! »
Il est prêt à se replonger dans sa lecture quand il aperçoit le nom de la station… qui se situe huit stations après sa destination ! Il se lève précipitamment mais les portes se referment…
Demain c’est décidé, il ira au travail à pied….
Photo © Kot
Texte © Nimentrix
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Vous pouvez aussi lire mes autres participations à l’atelier.
Que je suis fan! Belle variation sur les dangers et les plaisirs de la lecture. Humour et gravité au rendez vous, jeu sur les tons, tout ce que j’aime!
Merci sabariscon, j’adore jouer sur les contrastes et jouer avec le lecteur, tout simplement 😉
à pied, certes, mais comment va-t-il faire pour lire, et cet air iodé et ce bon coup de vent en haut de la falaise, comment va-t-il faire pour lire sans se prendre de plein fouet la mamie et son cabas, la belle lycéenne ou la laisse du pitbull ? comment ?
Je pense qu’il continuera à prendre le métro, qu’il reconnaîtra que cet étrange voyageur lui a donné un belle leçon et qu’il sera un peu plus attentif aux personnes qui l’entourent. Tout en continuant de profiter de cet adorable plaisir qu’est la lecture 😉
Le début est inquiétant, on ne sait pas ce que veut cet homme. Et puis, ça tourne à l’humour avec la dénonciation de tout ce qui nous importune dans le métro. J’aime aussi beaucoup ce que tu dis du pouvoir de la littérature qui nous emporte bien loin des tracas du quotidien. Un texte qui joue avec son lecteur et qui est très bien construit.
Merci beaucoup titine75. Si la littérature n’existait pas, je l’aurais inventé 😉
Toujours un plaisir de lire tes commentaires, et j’adore ton avatar (qui te sied très bien). Bon mais euh, je suis pas dystopique, je suis myope 😉 Ca m’a beaucoup amusé de créer la connexion avec un autre texte, comme d’autre quelquefois prennent la route du Rome 😉
Comme je suis encore plus bavard que toi, et que j’ai plein de textes à lire et à commenter, et plein de gens à remercier pour les commentaires et bien moi aussi je me tais 😉
On se demande presque si cet homme étrange n’est pas un produit de l’imagination du lecteur ! Ce mélange entre réalité et fiction fait un peu penser à la nouvelle de Cortazar « Continuité des parcs »
Ou peut-être que le lecteur est lui même le produit de l’imagination d’un auteur 😉 Merci pour la nouvelle de Cortazar, je m’y plongeais… dans le métro 😉 Merci pour ton commentaire, Ellettres 🙂
Direct Kafka le début non?…On se croit parti pour de la SF et hop un détour par l’hypnotherapie avant l’atterissage!!!….Ce qui me plait chez toi c’est que tu adores jouer avec nous…..
Ah, enfin une référence à l’hypnose 😉 Je suis en effet très joueur, je n’imagine pas d’écrire sans « embarquer » le lecteur 😉 Merci pour ton retour, Benedicte 🙂
Un étrange « donneur » de leçon ! Ce Jiminy Cricket moderne rappelle que la lecture permet de s’évader d’un quotidien rébarbatif mais ne doit pas être un « donjon » où on oublie jusqu’à la présence des autres.
Merci Albertine, a référence à Jiminy Cricket me plait bien 😉
Oh, je n’ai pas de commentaire aussi poussé que les autres lecteurs mais je ne vais pas bouder le plaisir que j’ai eu à lire ce texte…. Mais lecture attention danger !
avec le sourire
Merci Lilousoleil, c’est bien de vivre dangereusement 😉
Non non pas à pied ! comment pourrait-il écouter le doux bruit des mots ? bravo très beau texte 🙂
Merci Val 🙂 Il reprendra rapidement les transports, cet espace lecture va lui manquer 😉
Double lecture d’un texte à la fois fantastique (j’ai craint que le lecteur ne plonge pour de vrai) et bien réel (parce que des zozos comme ça, on en rencontre), donc captivant;
Bravo !
Merci beaucoup Adèle…. Le prochain texte à venir sera lui aussi à double lecture 😉
un très beau texte, si véridique sur la vie dans le métro et l’univers qu’on se forme à travers nos livres pour échapper à la réalité trop crue ! Beaucoup de plaisir à lire ton texte si bien écrit et fluide ! merci 😉
Merci pour ton commentaire Nady. Heureux que ça t’aies plu 😉